La Grande Chaîne des Métiers du Livre
Partie I - L'écriture

Je suis en train de terminer d’écrire mon 9e livre, qui est aussi ma 4e fiction. Les 6 premiers sont publiés à compte d’éditeur, et j’espère qu’il en sera de même pour celui-ci. Mes deux premiers, épuisés à ce jour (éditions Les Moutons électriques, parutions 2008 et 2011), furent tirés de mémoire à 2000 exemplaires chacun et ont fait des ventes plutôt moyennes (autour de 800). Ma première fiction publiée, un livre-jeu (Hachette, 2018), s’est vendue à 3000 exemplaires, ce que je trouve extra compte tenu de ses particularités. Je fais aussi des jeux narratifs vendus et publiés comme des « produits-livres », dont les ventes tournent autour de 5000 à 10 000 exemplaires, avec un « best-seller » à 20 000 exemplaires. Quelques-uns de ces jeux sont aujourd’hui traduits à l’étranger (Allemagne, Chine). Malgré tout ça, j’ai encore du mal à me considérer comme un écrivain professionnel. Tout au plus comme un semi-pro, un artisan honnête qui fait ce qu’il peut pour se dégager un salaire avec sa plume.
La volonté d’écrire une série d’articles est née de la méconnaissance que je constate souvent, dans la vraie vie comme sur les réseaux, au sujet des Métiers du Livre. Or, des Métiers du Livre, j’en ai fait quelques-uns. En parallèle de mon activité d’écrivain, j’ai travaillé dans l’édition, littéraire puis technique (PAO) ; puis j’ai été libraire BD pendant plusieurs années ; puis bibliothécaire, jusqu’à être responsable d’établissement ; et maintenant je donne des cours en IUT Métiers du Livre en plus d’écrire. Il fallait bien commencer par quelque chose, et en toute logique je commence donc par le travailleur de base, celui ou celle qui produit le contenu ou du moins sa matière première : l’auteurice. Je dois préciser ne pas connaître grand chose à l’auto-édition, et tout ce que je vais écrire par la suite ne vaudra que pour des publications à compte d’éditeur. Tout au plus puis-je dire que cette pratique d’auto-édition ne me semble pas viable en tant que métier dans le modèle économique tel qu’il existe. Je m’en expliquerai sans doute dans un futur article.
J’ai donc pu croiser régulièrement des personnes qui se piquent d’écriture en publiant sur une des nombreuses plates-formes en ligne qui le permettent et tentent l’aventure de l’auto-édition, ou celle de la micro-édition, et prennent conscience qu’ils ou elles ne touchent qu’un panel très restreint de lectrices et lecteurs. Je rencontre aussi des jeunes ou des moins jeunes, avec l’ambition d’écrire et des histoires plein la tête, mais pas de méthode claire aussi bien pour le travail d’écriture au quotidien que pour le démarchage. Bien souvent, ces aspirant.e.s auteurices tombent de haut face à la réalité du monde de l’édition : il y a une profusion démente de pros ET d’amateurs, les autres aspirant.e.s sont légion, aussi se faire connaître est d’une difficulté presque insurmontable si on n’est pas soutenu par une maison d’édition digne de ce nom, à diffusion nationale.
Je veux donc ici donner quelques conseils pour parvenir à au moins attirer l’attention d’une maison d’édition. Je partirai du principe que l’objectif recherché est une diffusion à l’échelle nationale : on veut toucher un public large, qui excède largement la sphère personnelle ou locale, on veut être présent en librairie un peu partout, a minima en librairie spécialisée. Je considère également qu’on parle majoritairement de fiction : concernant les essais ou les études, le processus peut être différent, et j’en suis moins familier. Je reste également prudent sur le domaine de la BD, que je connais un peu et que j’essaie d’aborder (un scénario est écrit avec une dessinatrice, mais on n’a pas encore vraiment démarché), mais dont les pratiques sont également spécifique.
Abordons maintenant tous les points importants sous forme de questions que vous vous posez, étape par étape. Commençons par le commencement :
1/ Pourquoi j’écris ?
Ce premier point va nous permettre de déblayer le terrain d’emblée. Si à cette question votre réponse intuitive est :
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- « J’écris pour me faire plaisir. »
- « Je n’ai pas d’ambition particulière. »
- « De toute façon les gens c’est tous des cons ils sont incapables d’apprécier ce que j’écris et qui est trop profond pour eux, et puis d’ailleurs les éditeurs sont tous des salauds qui ne publient que les copains tout ça c’est politique et la moitié d’entre eux n’écrivent même pas vraiment leurs livres… [insérer ici la suite d’une diatribe qui traduit votre mépris profond du lectorat et du monde de l’édition] »
… vous pouvez arrêter la lecture de cet article tout de suite, je ne peux rien faire pour vous. Vouloir écrire « pour soi » ou pour ses proches est très honorable et peut être un immense plaisir. Mais on ne va pas se mentir, être lucide et honnête avec soi-même : ce serait vraiment super si ce que vous écrivez rencontrait du succès. Pour la reconnaissance, pour le plaisir de diffuser ce que vous faites à une large audience et évidemment pour les revenus éventuels que ça pourrait générer. On va donc rester sur le principe suivant : vous cherchez à être publié, et à diffuser votre œuvre à une échelle la plus grande possible – en fonction bien sûr du type de littérature que vous produisez ; s’il s’agit de littérature expérimentale hyper exigeante, il est évident et normal que l’échelle attendue s’amenuise.
2/ Pour qui j’écris ?
Ne partez pas du principe que ce que vous écrivez intéresse le monde. On ne peut pas en vouloir au monde de ne pas s’intéresser à ce que vous écrivez. C’est à vous de rendre ce que vous écrivez intéressant. Imaginez que vous êtes au début d’un chemin, et qu’à la fin de ce chemin il y a le groupe de vos lecteurs potentiels. Vous pouvez espérer que les lecteurs fassent du chemin dans votre direction, qu’ils fassent l’effort de venir découvrir votre travail. Peut-être que la majorité d’entre eux ne s’engagera même pas sur le chemin et fera demi-tour. Sans doute que seuls les plus persévérants seront intrigués par ce chemin et auront envie de savoir qui est cette personne qui leur fait signe au loin. Mais une chose est certaine : si vous ne faites pas le premier pas, personne ne viendra à votre rencontre. Le public n’a aucune raison de faire l’effort de venir dénicher votre petite production personnelle, surtout dans un contexte de surproduction, aussi bien professionnelle qu’amateur. Ils ont largement de quoi se contenter, en mettant un seul pied dans la première librairie venue.
Il faut vraiment vous mettre ça dans le crâne, parce que l’erreur de raisonnement qui consiste à imaginer que ce que vous faites est forcément génial et ne rencontre pas le succès par manque d’efforts du public, c’est un truc qui peut vous pourrir la vie et vous enfoncer dans une aigreur permanente. C’est à vous de vous adapter aux attentes du public en premier lieu. Et ça ne veut pas forcément dire calibrer, standardiser ou aseptiser votre œuvre. Ca veut dire l’affiner, la simplifier, la peaufiner, la rendre accessible, lisible et fluide. Et raconter quelque chose d’intéressant bien sûr, toujours.
Est-ce à dire que ça n’existe pas, les œuvres calibrées, standardisées ou aseptisées ? Bien sûr que si. On pourrait se demander si elles sont si nombreuses et ont tant de succès que ce qu’on pense (sur ce sujet je vous renvoie à mon article sur la notion de succès). Mais disons qu’entre cet extrême, et l’autre extrême qui consisterait à produire une œuvre absolument hermétique, cryptique et incompréhensible, il y a une galaxie de possibilités intermédiaires. Ce dont vous pouvez être sûr.e, c’est que personne ne fera l’effort d’avancer dans votre direction, de s’habituer à votre univers, si vous-même ne travaillez pas énormément à susciter le désir, la curiosité, l’envie de vous découvrir. Si vous pensez que j’ai tort sur ce point, cessez immédiatement de rêver à publier : vous n’êtes pas fait pour. « Publier », c’est rencontrer son « public ». Or votre public ne vous attend pas, il fait d’autres trucs et se fiche de ce que vous faites. Pour qu’il ne s’en fiche pas, vous devez lui donner envie.
3/ De quoi le public a-t-il envie ?
Voilà la question cruciale. Si vous vous l’êtes posée tout.e seul.e, vous êtes sur la bonne voie. Je pourrais vous répondre par une pirouette rhétorique, en vous disant que « tout dépend des goûts de chacun », que ces gouts « sont dans la nature » et « ne se discutent pas ». Hihi. Eh bien non, pas du tout, c’est de la connerie. Les goûts (notamment les goûts en matière de fiction narrative), comme tous les comportements, sont déterminés par un ensemble de facteurs situationnels : genre, classe sociale, situation géographique, âge, environnement familial, etc. On peut donc établir des catégories de goûts relatives à ces situations, tout en gardant à l’esprit qu’il y a bien entendu une variance infinie à l’intérieur de ces catégories.
Lorsque vous écrivez, vous pouvez garder sans cesse dans votre tête un « lecteur » ou une « lectrice-type », qui bien souvent correspondra à votre propre situation sociale. C’est tout à fait normal de vouloir se sentir à l’aise avec notre lecteur-type. Il est sans doute tout aussi sage, avec la force de l’habitude peut-être, de tenter d’élargir le profil de ce lecteur-type, le rendre un peu moins rigide, un peu plus universel. Ou au contraire plus spécifique, si c’est comme ça que vous le sentez. Mais en attendant, à chaque phrase écrite, vous devez chouchouter votre lecteur-type et lui poser plein de questions : « est-ce que tu as bien compris l’intrigue ? » ; « cette phrase, elle est lisible ? » ; « tu le trouves intéressant, ce personnage ? » ; « tu t’y attendais, à ce retournement de situation ? » C’est en écoutant votre lecteur-type que vous apprendrez à simplifier, affiner, peaufiner.
Votre lecteur-type aura beau être différent des lecteurs-types des autres écrivains, la catégorie de public à laquelle vous vous adressez aura beau être distincte des autres, vous pourrez néanmoins être certain.e que, fondamentalement, tous les publics et tous les lecteurs recherchent systématiquement les deux choses suivantes dans une fiction narrative :
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- du même
- du différent
Le public recherche du « même », parce qu’il a besoin de partager des codes narratifs avec vous : vous devez vous accorder sur un langage commun, qui va rendre votre communication intelligible. Mais il recherche aussi du « différent », parce qu’il a besoin de variété, de ne pas se faire raconter pour une énième fois la même histoire de la même manière. Voyons à présent comment s’y prendre pour respecter cette double contrainte.
4/ Comment être lisible mais original ?
C’est l’occasion de parler d’un concept qui m’est cher, une petite métaphore que je file depuis une dizaine d’années, c’est la corde tendue.
Quand vous recevez une œuvre en tant que spectateur ou spectatrice, imaginez qu’il existe une corde tendue entre vous et l’artiste. Si l’artiste tend cette corde avec parcimonie, il vous tire doucement vers lui, vous embarque progressivement dans son univers, excite votre envie de jouer. Il peut aussi remonter la corde et faire le chemin vers vous, pour vous épargner du travail. Attention, s’il vous prémâche tout le boulot, ou s’il donne trop de mou et laisse mollement pendre la corde, peut-être l’exercice sera-t-il moins amusant, moins excitant, trop facile. Si par contre l’artiste vous tire trop brusquement, vous risquez de lâcher la corde et de ne plus avoir envie du tout de participer. Vous devez faire pareil en tant qu’écrivain : tendre la corde, mais pas trop.
A mon sens, il y a trois caps principaux à se fixer pour garder la corde tendue mais pas trop, pour équilibrer le « même » et le « différent », pour parler un langage commun avec vos lecteurs.
- Respectez les codes narratifs les plus évidents. Il y a peu de chances pour que vous révolutionniez l’histoire de la littérature. Si c’était le cas, vous auriez déjà un éditeur et ne seriez pas en train de lire ceci. Donc n’essayez pas de réinventer la roue : utilisez des personnages (ne passez pas 500 pages à décrire des cailloux), choisissez un mode de focalisation (narrateur omniscient ? interne ? première ou troisième personne ? plusieurs narrateurs ou pas ?), un temps de narration (passé ? présent ?) structurez votre texte (chapitres, dialogues, paragraphes). Vous n’êtes pas familier avec tous ces termes et/ou ces principes ? Ce n’est pas l’objet de cet article de les détailler, mais plein de livres et de ressources en ligne s’y emploient. J’en ferai un inventaire à l’occasion.
- Définissez un genre. Vous pensez que ce que vous écrivez n’a pas de genre, ne s’inscrit pas dans un genre ? Haha. Allez donc jeter un oeil à mon article sur la notion de genres. Le hors-genre, ça n’existe pas. Ce que vous écrivez a forcément une mécanique narrative : la romance, le drame, l’enquête, la comédie, l’horreur… vous en avez au moins une ; et il y a forcément un registre aussi : historique, réaliste, surréaliste, fantastique, science-fiction, burlesque… il y en a forcément au moins un ; et aussi un public-cible : jeunesse, adulte, YA. Chérissez vos genres et vos registres, c’est aussi grâce à eux que vous partagez des codes communs avec vos lecteurs.
- Surveillez constamment la cohérence interne. Vous devez bichonner à tout moment la suspension d’incrédulité de votre lecteur. On dit souvent de l’art narratif qu’il est une forme de croyance, mais avec une nuance essentielle : l’art ne vous emprunte votre crédulité que pour le temps où vous le contemplez, et vous la rend aussitôt après. Il ne prétend pas dire le vrai. C’est ce qu’on appelle la « suspension consentie de l’incrédulité » : un contrat tacite relie l’émetteur (l’artiste) et le récepteur (le spectateur, le lecteur). Le premier permet au second une échappatoire dans un univers de fiction, mais contrairement au personnel religieux, il ne prétend pas que ses fictions sont réelles. L’incrédulité (le fait de ne pas croire) est simplement « suspendue » pendant une heure ou deux, le temps de lire un livre, regarder un tableau, voir un film, et ensuite le récepteur est libre de retourner au monde réel, avec la certitude que ce qu’il vient de vivre n’en était qu’une version alternative, irréelle et dévolue à son plaisir.
Est-ce que ça veut dire qu’on est condamné à reproduire des schémas ? Oui ! Est-ce que c’est incompatible avec l’originalité ? Pas du tout ! On invente des histoires depuis très longtemps, et on les couche par écrit depuis (au moins) Homère, et tous les schémas narratifs sont sans doute déjà contenus dans L’Illiade et dans L’Odyssée. Où avez-vous vu que ça empêcherait la surprise ? Il y a encore mille choses à raconter et mille manières de le faire. Mais ce ne sont pas n’importe quelles choses racontées de n’importe quelles manières. Il y a des conventions à respecter, et si ça vous embête c’est pareil. En matière culinaire par exemple, les goûts et les couleurs existent, mais à un moment donné, une cuisse de poulet pas cuite, c’est une cuisse de poulet pas cuite. C’est dégueu, et c’est comme ça.
J’en profite pour glisser une couche supplémentaire : abandonnez vos idées de grandeur Littéraire, Culturelle et Artistique. Si vous accouchez d’une œuvre majeure, ça ne viendra pas parce que vous l’avez préparé mais malgré vous. Et ça a peu de chances d’arriver. Essayez déjà de nous raconter une bonne histoire qui nous tient en haleine. Je suis intimement convaincu que l’immense majorité des aspirant.es écrivain.es qui se targuent de défendre une Haute Idée de la Littérature Légitime et de posséder un Talent Inné ou un Style Recherché sont infoutus d’écrire une nouvelle toute simple, fluide et lisible, avec une intrigue intéressante et un retournement de situation. Chiche ?
5/ Comment savoir si je suis un.e écrivain.e ?
C’est une question légitime ! Vous savez maintenant pourquoi vous écrivez, pour qui vous écrivez, vous vous êtes débarrassé.e de vos idées reçues sur le succès, les attentes des lecteurs (qui ne sont pas des salauds, vous avez bien compris ?) et l’originalité d’une œuvre. Mais comment savoir si vous êtes réellement un.e écrivain.e, c’est-à-dire quelqu’un qui peut produire un texte abouti dont on peut faire un usage professionnel massivement diffusé ? Voici un certain nombre de pistes, qui sont autant de conditions nécessaires mais pas suffisantes :
- Vous aimez raconter des histoires. Depuis longtemps, si ce n’est depuis toujours. Pas nécessairement sous forme de textes. Depuis tout petit, ça m’a toujours passionné de créer des univers de fiction, d’inventer des personnages, d’élaborer des intrigues. J’y passais des heures, des jours, des vacances entières, et ça prenait souvent la forme de jeux (c’est pas pour rien que l’essentiel de ma carrière actuelle consiste aujourd’hui à entrelacer le littéraire et le ludique).
- Vous considérez l’écriture comme un travail. Et non pas un don. Bien écrire, c’est du boulot. Du savoir-faire. Un métier. Je ne crois absolument pas au talent inné ou au génie. Il existe tout au plus des dispositions, des situations facilitatrices. Mais tout le monde peut écrire. Ca s’apprend. Il existe plein d’ateliers d’écriture animés par des pros, ou d’excellents ouvrages qui vous expliquent bien mieux que je ne le fais actuellement, et plus en détails. Mes meilleures références sont Ecriture : mémoires d’un métier de Stephen King, Comment écrire de la fiction ? de Lionel Davoust, et surtout Ecrire son premier roman en dix minutes par jour de David Meulemans. Ne doutez jamais qu’on peut objectiver ce que sont une bonne et une mauvaise écriture. Je vous assure qu’on peut.
- Vous êtes curieux.se et ouvert.e. Vous vous intéressez à beaucoup de choses, vous cherchez à les comprendre en prenant un peu de hauteur, vous avez une capacité d’émerveillement face aux grandes comme aux petites questions du monde et du quotidien. Ca ne veut pas forcément dire que vous êtes super fort.e aux quizz de culture générale, ça veut dire que vous avez de la curiosité pour ce qui vous entoure.
- Vous avez une faculté d’empathie. Vous vous intéressez aux gens, vous essayez de comprendre pourquoi ils ont ces comportements, ces gouts, ces parcours. Sinon vous ne pourrez jamais créer des personnages crédibles. Si vous trouvez que tous les gens sont des cons et notamment vos futurs lecteurs qui ne sont pas assez intelligents pour vous comprendre, je vous le répète encore une fois : vous n’êtes pas fait.e pour l’écriture (vous êtes encore là ??).
- Vous lisez beaucoup. Il faudrait s’entendre sur ce que c’est « beaucoup ». En tout cas vous n’êtes pas un non-lecteur. Il est absolument impossible que vous soyez un.e bon.ne écrivain.e si vous ne lisez pas du tout. Si vous méprisez une grande partie de tout ce qui sort en librairie, je vous le cache pas, c’est très mauvais signe. Il y a forcément des choses pour vous, des choses qui vous plaisent. Lisez-les, et ne vous contentez pas de les lire : branchez votre cerveau analytique en même temps que vous lisez, et décortiquez comment font vos auteur.ices préféré.es pour susciter votre attention, votre plaisir. Quels sont leurs concepts, leurs structures, leurs écritures, leurs narrations, leurs astuces ? Faites ça aussi avec d’autres fictions narratives, ça ne fait pas de mal : films, bandes dessinées, jeux vidéo (si vous avez haussé un sourcil parce que je viens de mettre sur le même plan littérature, bande dessinée et jeux vidéo, améliorez votre point 3).
- Vous avez une bonne expression écrite. J’enfonce une porte ouverte, pas vrai ? Mais il y a quand même un minimum à attendre, et ce minimum n’est pas toujours atteint. Vous ne pouvez pas soumettre un manuscrit s’il y a des fautes de syntaxe partout, des lourdeurs dans tous les sens, des phrases incompréhensibles ou des choix de mots hasardeux (c’est moins grave pour les fautes d’accord ou d’orthographe). Si ce n’est pas spontané chez vous, vous n’avez pas le choix : pratiquez, pratiquez, pratiquez. Ecrivez un journal. Un blog. Des articles. Des comptes-rendus de lectures (en expliquant pourquoi vous avez aimé ou pas, ce sera un bon exercice). Relisez-vous tout le temps, faites-vous relire, demandez si c’est fluide et lisible. On a dit fluide et lisible d’accord ? C’est pas parce qu’il y a des mots compliqués que c’est beau ou stylé.
Si vous avez tout bon sur tous les points, on va peut-être faire quelque chose de vous. Vous avez les conditions nécessaires, mais je vous l’ai dit, elles ne sont pas suffisantes.
6/ Comment je m’organise ?
Comme il ne reste à présent que la crème de la crème, les ultra-motivés de l’écriture, on peut passer aux choses sérieuses, à la pratique. En fait vous vous organisez comme vous voulez. Chacun a ses petites habitudes, ses tics ou ses névroses qui apaisent l’angoisse. Moi j’aime bien me mettre dans ma chilienne sur la terrasse, le laptop sur les genoux et un café à portée de main. Je travaille beaucoup avec les tableurs en ligne type Google Sheets, où j’ai mes bases de données de personnages, ma structure narrative et mes points d’intrigue à portée de main partout où je me trouve. Je peux vous lister ce que j’ai comme onglets tout le temps ouverts quand j’écris :
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- Wikipedia (vous avez haussé un sourcil ? je vous voiiiiiis)
- Wiktionnaire (pour les étymologies c’est top)
- le Dictionnaire des Synonymes CRISCO de l’Université de Caen (jamais trouvé mieux)
- Google Sheets avec toute ma documentation
- En fonction des besoins : DeepL ou autre traducteur, un dictionnaire de rimes en ligne, un bon test de personnalité en ligne (pour les personnages), et depuis peu pourquoi pas Chat GPT pour se donner des idées (en aucun cas pour générer du texte)
C’est mes trucs à moi, je force personne. Faites comme vous voulez. Mais il y a un truc auquel vous ne pourrez pas déroger, un truc qui va faire la différence entre un passe-temps sympathique et un vrai projet d’écriture.
Ecrivez. Tous. Les Jours.
Même si vous n’avez pas le temps : trouvez dix minutes.
Même si vous n’avez pas la forme : écrivez 3000 signes.
Même si vous n’avez pas d’idées : créez de la « matière narrative » comme le préconise David Meulemans dans son livre. Vous lui donnerez sa forme finale plus tard, ou petit à petit.
Là j’ai été un peu dur donc je calme le jeu : en vrai, il y a des phases où vous ne pourrez pas écrire tous les jours. Par exemple j’ai deux enfants dont un de trois ans, et quand je bosse 42h par semaine je n’arrive pas à écrire tous les jours. Et puis il y a des fois où, vraiment, je suis trop crevé. Où un imprévu me tombe dessus. Où je préfère laisser maturer une idée un jour de plus. Toutefois soyons lucides : quand j’ai un projet en cours, il est rare que je descende en dessous des 5 jours sur 7 (et encore, je ne compte là-dedans que l’écriture pro, pas l’écriture sur blog, sur forum ou autres, que je pratique quotidiennement). C’est rare parce que c’est impensable si je veux parvenir au bout de mon projet. Et aussi si je veux maintenir sa cohérence : un projet qu’on reprend en dilettante, une fois par semaine ou tous les quinze jours, c’est l’assurance de perdre le fil, de ne plus savoir où on en est, et de se retrouver devant une bonne vieille angoisse de la page blanche.
L’écriture c’est comme le sport : c’est en pratiquant régulièrement, même à petites doses, qu’on habitue son corps et son esprit à un rythme de travail constant. Et c’est comme ça qu’on progresse, qu’on progresse très vite parfois.
7/ Et maintenant je fais quoi ?
Le plus dur est fait. Vous avez votre manuscrit, vous êtes fier.e du travail accompli et il y a de quoi. Comme vous avez écouté tous mes bons conseils, vous restez lucide toutefois : rien ne dit que vous trouverez une maison d’édition, et encore moins que vous la trouverez facilement. Peut-être que c’est pas très bon ce que vous avez fait. Peut-être que ça n’intéresse pas grand monde. Ou peut-être que les lecteurs et les éditeurs sont tous des cons qui ne comprennent pas votre travail (haha, vous avez hoché la tête c’était un piège !). Bref : restez concentré.e et ne partez pas du principe que le monde attend votre histoire. C’est à vous de trouver le bon moyen de diffusion, et ça ne se fait pas au hasard.
En tout premier lieu, je vous conseille vivement d’effectuer une relecture et correction très détaillée du manuscrit. Chassez bien sûr les fautes, mais surveillez aussi les lourdeurs : répétitions, agencement et rythmique des phrases, adverbes surnuméraires.
(je vous donne mon astuce pour les adverbes : je supprime deux adverbes sur trois et j’essaie de les transformer en métaphores ; exemple : au lieu de « Il s’approcha furtivement » >>> « Il s’approcha comme un fauve camouflé dans les hautes herbes »).
Ensuite veillez à ce que la mise en page soit aérée et structurée. Justifiez le texte, employez une police d’écriture très basique et lisible (Arial, Times, Cambria…) dans une police standard (12). Faites attention aux sauts de lignes, aux fins de chapitres, à la formalisation des dialogues. Inspirez-vous de ce que vous trouvez dans des romans édités.
Enfin avant tout envoi il me semble important de trouver des beta-lecteurs. Ce ne sont pas des lecteurs qui sont bêta (cette blague n’avait jamais été faite avant j’en suis CERTAIN), mais des « testeurs » soigneusement choisis que vous allez utiliser pour passer votre manuscrit au crible de regards critiques. Je me permets de vous donner quelques conseils, évidemment ce sont des impressions personnelles :
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- Ne faites pas lire à des proches, à moins qu’ils ne vous le réclament avec des trémolos dans la voix (vous avez besoin de comptes-rendus de lecture les plus objectifs possibles).
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- Choisissez de bons lecteurs, capables de vous faire un retour critique aussi complet et éclairé que possible.
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- Expliquez-leur tout bien à l’avance, et notamment le fait que votre demande est contraignante et demande un investissement : vous avez besoin d’une lecture attentive et complète, idéalement avec prise de note des bons et des mauvais points, et qui ne prenne pas 6 mois (idéalement plutôt 1 mois maxi).
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- Variez les profils de relecteurs, et n’hésitez pas à faire appel à des sensitivity readers, des relecteurs.trices femmes, racisés, LGBT, handicapés (etc.) si vous avez des personnages et des sujets pour lesquels vous craignez de commettre des impairs ou de laisser entrer des poncifs. Ce ne sont pas des « contrôleurs de moralité » comme le pensent les journalistes du Figaro, mais des lecteurices qui vous offrent un angle de vue qui n’est pas le vôtre.
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- Faites la part des choses entre les critiques récurrentes sur lesquelles vous pouvez agir, et les critiques anecdotiques ou qui risqueraient de dénaturer complètement votre texte.
Prenez ensuite le temps d’intégrer toutes les corrections à votre manuscrit. Retravaillez-le, mais sachez mettre un point final. Quand c’est terminé, c’est terminé.
8/ J’envoie à qui ?
C’est le moment de se lancer. Mais vous êtes découragé.e par la profusion de l’offre éditoriale. Vous ne savez pas vous y retrouver et c’est bien normal. Essayons de distinguer les différents types de maisons d’édition de livres.
- Les maisons d’édition à comptes d’auteurs : fuyeeeeez pauvres fouuuuuus !! !! !! Non blague à part, vraiment méfiez-vous. Le principe, c’est que vous allez avancer la somme (prohibitive) nécessaire à l’impression/fabrication de quelques centaines d’exemplaires de votre ouvrage, puis espérer rattraper ce montant grâce aux ventes réalisées par l’éditeur, qui se charge (très mal) de la partie promotionnelle et de la diffusion (souvent uniquement en ligne). En général l’éditeur accepte instantanément votre manuscrit sans travail de correction ou réécriture, ce qui peut sembler flatteur mais trahit uniquement l’absence de professionnalisme.
- La micro-édition : on est bien là sur de l’édition à compte d’éditeur. C’est l’entreprise qui avance les frais d’impression et de fabrication. Dans le meilleur des cas, elle corrige et retravaille le manuscrit. L’auteur a un contrat, même si le montant des droits et des à-valoir est souvent négligeable. En effet, le micro-éditeur est généralement géré par une personne seule, qui n’as pas de structure de diffusion/distribution (j’y reviendrai), et doit assumer, outre les aspects purement « éditoriaux » du métier, le stockage des ouvrages et un mode de diffusion « artisanal » : démarchage téléphonique auprès des libraires, présence accrue sur les salons (qui peuvent devenir le véritable débouché pour les ventes). C’est du travail de passionné « semi-pro », qui peut donner de belles aventures éditoriales aussi bien que des drames humains et financiers. Restez prudent.e, veillez à ce que vos droits soient respectés (par exemple, demandez à être rémunéré.e quand vous faites des salons le week-end, ce genre de choses).
- Les super gros éditeurs qui font rien que du profit : Hachette, Gallimard et Albin Michel sont bien sûr des engeances démoniaques qui n’ont qu’une idée en tête : publier rien que des gens déjà connus pour faire plein de profit avec de la sous-littérature honteuse – d’ailleurs il sont partout dans toutes les librairies et même dans les Relay c’est pour vous dire à quel point ils sont méchants. Bon plus sérieusement : il y a de l’excellente littérature chez les très gros éditeurs, et même de la prise de risque et de nouveaux et/ou jeunes auteur.ices tout le temps. L’accès à ces maisons, par contre, n’est pas aisé, principalement parce que ces entreprises reçoivent des milliers de manuscrits par an, et également, parce que, et c’est très naturel, elles misent beaucoup sur des auteurs dont la notoriété et la capacité de travail sont éprouvés. Il ne faut pas non plus négliger l’aspect suivant : elles exigent un très haut degré de professionnalisme.
- Les éditeurs « normaux » : ni micro, ni macro, ils sont une galaxie d’éditeurs de tailles modestes, avec des équipes réduites, mais pour autant très professionnels, et vous en trouverez dans tous les genres, tous les formats, tous les supports, tous les styles, des dizaines et des dizaines. Ils travaillent avec des structures de diffusion/distribution, ce qui leur permet de placer leurs ouvrages en librairie partout en France et même à l’étranger, notamment dans les pays francophones. Ils proposent des contrats, rémunèrent leurs auteurs sous la forme d’à-valoir (une avance sur droits qui est perçue quoi qu’il arrive) et de droits d’auteurs (un pourcentage sur les ventes, sur lequel je reviendrai plus loin). Soyons à la fois audacieux et réalistes : c’est ceux-là que vous visez.
Est-ce que ça signifie que, en visant des éditeurs « normaux », vous allez forcément être publié.e, et que tout va bien se passer, avec garantie zéro arnaque ni aucune exploitation d’aucune sorte ? Non ! Il faudra rester toujours vigilant, et faire au préalable un travail de repérage très précis.
Voici ce que je vous conseille si vous n’y connaissez rien au monde de l’édition. Ayez bien en tête le style, le genre, le registre dans lequel s’inscrit votre manuscrit. Entrez dans une librairie généraliste, et passez un moment dans le rayon Littérature. Repérez sur les tables ou dans les rayonnages les livres qui vous paraissent appartenir aux mêmes style, genre, registre que le votre, ou qui vous attirent, qui vous semblent intéressants (ou que vous connaissez déjà !). Notez le nom de la maison d’édition et la collection s’il y a lieu. Ne négligez pas les collections spécialisées des gros éditeurs si vous officiez dans un genre bien marqué (typiquement polar ou SF). Mais pas les livres de poche, uniquement les grands formats ! Les éditeurs poche sont d’une espèce un peu particulière qui ne nous intéresse pas pour le moment (sauf exceptions).
Rentrez chez vous avec au moins une dizaine de noms. Et maintenant, affinez. Toutes les maisons d’édition sérieuses ont un site internet digne de ce nom. S’il n’y en a pas ou si le site vous semble douteux (pas mis à jour depuis longtemps, obsolète, etc.) laissez tomber. Pour les autres, vérifiez une fois de plus que l’ambiance générale correspond à ce que vous faites : est-ce qu’ils publient du polar, de la science-fiction, de la romance, de la littérature dite « blanche » ? Y a-t-il d’autres supports (BD, beaux-livres) ? Font-ils aussi des essais ou des documentaires ? L’idée est de cerner la ligne éditoriale de la maison d’édition. Quelle est leur idée, leur concept ? Dans un second temps, vérifiez aussi qu’il y a un vrai calendrier de publication : des parutions régulières, qui font toutes l’objet d’un travail personnalisé (couverture, résumé, présentation de l’auteur.ice, etc.).
Prenez ensuite connaissance des conditions d’envois de manuscrits de la maison d’édition. C’est en général précisé dans une rubrique dédiée du site internet. Sans doute ferez-vous le constat amer, sur bon nombre d’entre elles, qu’elles « ne cherchent pas de nouveaux auteur.ices actuellement ». Acceptez cette réalité : vous n’êtes pas seul.e à écrire. Une maison d’édition même modeste peut facilement recevoir un manuscrit par jour en moyenne. Les éditeurs, évidemment, suivent aussi leurs auteurs sur le long terme (vous serez bien content.e quand ce sera votre cas) et intègrent à leur planning de parutions des écrivain.es qu’ils ont déjà à leur catalogue. Il faut donc se faire sa place dans ce planning, et les éditeurs n’ont pas huit bras et trois cerveaux : ils ne peuvent pas lire avec attention et précision 300 manuscrits par an. Lorsqu’ils sont ouverts à la réception de manuscrits, il faut donc respecter scrupuleusement leurs conditions d’envoi. Pagination (certains éditeurs n’aiment pas les textes trop longs, d’autres les trop courts, d’autres s’en foutent), sujet/thème, genre, public visé : vérifiez bien que ce que vous faites est conforme à ce qu’ils attendent. Si ce n’est pas le cas, n’envoyez pas : ne faites perdre du temps à personne.
Petit addendum : surveillez aussi (par les réseaux sociaux par exemple) les créations de nouvelles maisons d’édition en repérant les gages de sérieux (carrière des éditeurs, présence d’un site internet bien fait, financement participatif, etc.) et les appels à textes. Ce sont souvent des opportunités pour des auteurs cherchant à se faire remarquer.
9/ J’envoie comment ?
Avant toute chose, vous regardez une fois de plus les conditions d’envoi de l’éditeur, et vous les respectez scrupuleusement. En général, ils demandent des manuscrits en police standard, corps 12, interligne double ou 1,5 (pour avoir de la place entre les lignes pour faire des annotations).
S’il vous venait l’idée saugrenue d’envoyer votre manuscrit par courrier, retenez-vous. La totalité des envois de manuscrits se fait aujourd’hui sous forme numérique par mail, et pas autrement. Encore et encore, reportez-vous aux conditions d’envoi : très souvent, on vous demande d’envoyer en format .doc ou .docx et c’est lu sur LibreOffice ou un programme approchant. Personnellement j’aime bien envoyer un doublon en PDF mais ce n’est pas obligé (il faut dire que dans mon cas particulier les textes sont souvent illustrés, donc le placement des images dans LibreOffice peut poser divers problèmes).
Même si l’éditeur ne le précise pas, partez du principe que votre manuscrit doit toujours comporter une page avec vos noms (réel et/ou pseudo), coordonnées, brève présentation personnelle avec un rappel de ce que vous avez déjà publié si c’est le cas, et ce qu’on appelle une note d’intention : une petite présentation de votre histoire, de votre univers, et de ce que vous avez voulu raconter. Pensez aussi à indiquer le nombre de signes du manuscrit espaces inclus, que vous pouvez tirer des statistiques de votre document. A la louche, un texte de moins de 150 000 signes est une nouvelle (ce qui provoquera le désintérêt de 90 % des éditeurs), entre 200 et 400 000 signes c’est un court roman, autour de 500 000 signes c’est la taille standard, autour de 1 000 000 de signes c’est un gros pavé.
Vérifiez trois fois que votre envoi est correct, et n’oubliez pas d’expliquer votre démarche dans le corps du mail (« Bonjour, j’adore ce que vous faites, c’est vous LA maison d’édition de mes rêves », etc.). Joignez des pièces si besoin (des illustrations s’il y a lieu par exemple, en format léger).
Certains auteurs aiment bien s’envoyer leur manuscrit sous forme imprimée par la Poste pour protéger juridiquement leur oeuvre. Je ne suis pas sûr que ça protège réellement contre toutes les arnaques possibles, et je suis presque sûr que s’envoyer son propre manuscrit par mail revient au même (ce que je vous conseille de faire très régulièrement – on a tous connu des crash de disque dur). D’un point de vue plus personnel, je vous conseille vraiment de garder tout votre matériel de notes, de schémas et de dessins qui vous ont servi à élaborer l’oeuvre. C’est sympa à conserver. La nostalgie, le chemin parcouru, tout ça.
Ensuite attendez. Normalement, vous recevez un accusé de réception après quelques temps (jours ?). Ne relancez pas outre mesure.
10/ Je fais quoi en attendant la réponse ?
Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? J’ai plusieurs pistes pour vous.
- Continuez à écrire tout le temps. Pourquoi ne pas travailler tout de suite à un nouveau projet ? Ou continuer votre journal ? Votre blog ? Vos mémoires ?
- Suivez l’actualité des maisons d’édition, au moins celles à qui vous avez envoyé votre manuscrit. A ce titre, les réseaux sociaux sont bien entendu incontournables. Peut-être verrez-vous passer des concours, des appels à textes, des informations intéressantes…
- Confrontez-vous à la publication. Par exemple, participez à des concours de nouvelles (il y en a PLEIN). Si vous avez vraiment la prétention de devenir pro, vous devriez pouvoir écrire une nouvelle sur n’importe quel sujet/registre et avec n’importe quelle contrainte (enfin, faut que ça vous inspire un minimum bien sûr). On pourrait même être tenté de penser que, si vous avez le niveau pour être publié.e, vous allez réussir à gagner des concours ou au moins être bien placé.e, face à des amateurs qui pratiquent en dilettante, n’est-ce pas ?
- Surveillez les appels à textes. Il y en a régulièrement, vous les verrez passer si vous suivez le point 2. Souvent, c’est sur un genre, une thématique ou un public. Il est évident qu’un éditeur aura davantage tendance à lire le manuscrit de quelqu’un qui a déjà tenté sa chance sur un ou plusieurs appels à textes (c’est un signe de motivation et de professionnalisme).
- Rencontrez des pros. Lors d’événements, de salons, de rencontres. Soyons clairs : je ne crois pas à la légende urbaine de l’éditeur qui ne publie que ses potes. Par contre, je veux bien croire que l’éditeur publie plus volontiers des gens qu’il a rencontrés, ou dont on lui a parlé, ou qui viennent s’intéresser à son travail. Donc tout naturellement : n’hésitez pas à aller rencontrer des pros, parlez-leur sans les emmerder, saisissez les opportunités qui s’offrent à vous !
(petite anecdote : mon opportunité de publier chez Hachette en 2018 est venue d’une rencontre de ce genre. Un copain librairie qui avait discuté avec une éditrice de chez Hachette Heroes a appris qu’ils recherchaient des auteurs de livres-jeux – le type de textes que je maîtrise le plus, et que je pratique depuis l’enfance. L’ami libraire m’a donné le contact de l’éditrice, à qui j’ai écrit pour lui proposer un début de manuscrit basé sur un de mes anciens projets pour lui montrer mon travail. Elle a aimé mon style, a sans doute été rassurée par le fait que j’avais déjà publié plusieurs livres. On s’est appelés, on a défini les contours du projet, je lui ai écrit un premier jet, et elle a validé. Etait-ce du copinage ? Pas du tout, je ne la connaissais absolument pas à l’époque, et elle ne m’aurait jamais publié si je n’avais pas proposé quelque chose de solide. Par contre, c’était une opportunité : avoir connaissance de l’appel à textes, y répondre du tac au tac, donner des gages d’expérience, c’est tout ça qui a pu faire que ça a fonctionné)
(depuis c’est mon éditrice d’amour et je ne la quitterai plus jamais, bisous tu te reconnaîtras )
Puis, un beau jour, vous vous rendrez compte que votre boîte mail ou votre boîte aux lettres sont garnies d’un courrier de réponse d’une des maisons d’édition que vous avez démarchées.
11/ Comment gérer ma dépression ?
La réponse est là, dans votre boîte aux lettres (plus vraisemblablement : dans la boîte de réception de votre mail). Vous la découvrez. Vous la relisez trois fois. Voici ce que ça dit :
- Votre manuscrit ne correspond pas à notre ligne éditoriale. Cela peut être une formule de politesse pour dire qu’il n’a pas retenu l’attention. Dans tous les cas c’est un lettre-type, on est bien d’accord. Mais cela peut aussi être vrai : vous vous êtes peut-être planté.e sur la ligne éditoriale que vous supposiez être celle de cet éditeur. Faites plus gaffe la prochaine fois. C’est à présent grillé avec cet éditeur : ne lui renvoyez pas votre manuscrit trois fois, ça ne sert à rien.
- Votre manuscrit n’est pas retenu, mais on vous explique pourquoi dans une réponse personnalisée. Réjouissez-vous : vous avez passé un cap auquel peu d’aspirant.es parviennent. Si l’éditeur.ice a pris le temps de vous écrire, c’est qu’un certain potentiel a été décelé, que la question de vous publier s’est posée, mais qu’elle n’a pas pu se concrétiser pour plein de raisons possibles : œuvre trop proche d’une autre déjà au catalogue, sujet traité trop souvent, manuscrit qui nécessite trop de travail… Vous êtes sur la bonne voie, et si vous avez bien fait votre prospection, peut-être aurez-vous des réponses favorables d’autres éditeurs.
- Votre manuscrit est accepté sous réserve que vous en modifiiez un ou plusieurs aspects. Je n’ai jamais rencontré ce cas de figure personnellement, mais je sais que ça existe. Bien souvent, c’est la taille du manuscrit qui pose problème : trop court ou trop long, trop dense ou pas assez, il y a du boulot à reprendre pour l’améliorer mais vous tenez le bon bout. Suivez aveuglément ce qu’on vous dit, vous discuterez et négocierez quand vous aurez plus de bouteille. Pour l’heure : écoutez et travaillez.
- Votre manuscrit est accepté. C’est le Graal, le Nirvana et l’Eldorado réunis. Et vous pensez que c’est fini ? Haha vous êtes trop drôle.
12/ Comment bien travailler avec la maison d’édition ?
Vous avez échangé quelques mails avec l’éditeur.ice, sans doute vous êtes-vous téléphonés ou avez-vous fait une visio. La prochaine étape consiste à recevoir et signer votre contrat d’édition. Cela peut prendre un peu de temps. Pour le coup, n’hésitez pas à relancer car c’est important. Prenez le temps de bien relire votre contrat. Je ne vais pas rentrer dans une profusion de détails, mais surveillez quand même quelques trucs :
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- Que toutes vos coordonnées, y compris bancaires, soient bonnes.
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- Que le tirage initial soit mentionné, soit le nombre d’exemplaires imprimés au départ.
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- Que l’à-valoir, c’est-à-dire la somme d’argent que vous allez toucher avant même que l’ouvrage ne soit imprimé, est bien mentionné. Et qu’il soit pas trop dégueu. Je précise encore : l’à-valoir est une somme qui vous est due, c’est une avance sur droits même si les ventes sont catastrophiques, vous la toucherez de toute façon ! En général, vous en percevez une partie à la signature et une partie à la remise du manuscrit définitif.
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- Que les droits d’auteur sont bien indiqués, parfois avec des paliers (un certain pourcentage jusqu’à tant d’exemplaires vendus, puis un autre pourcentage si on dépasse ce seuil). Les droits d’auteur sont exprimés en pourcentage sur le prix de vente Hors Taxe du livre. A chaque vente de votre ouvrage, vous êtes rétribué de ce pourcentage. La légende urbaine prétend que la part moyenne de l’auteur est de 8 % en début de carrière, en vrai je n’ai jamais vu ça. J’ai toujours touché entre 2 et 6 % de droits d’auteur, je sais que chez les stars (Werber, Nothomb…) ça peut monter à 20 %, je suppose donc que pour un.e auteur.ice solide avec une carrière conséquente chez un éditeur bien installé, on doit se stabiliser quelque part entre 8 et 12 %. Sur un livre vendu 20€ (soit 18,90 € Hors Taxe, les livres ont une TVA à 5,5 %) avec un droit d’auteur à 6 %, vous touchez 1€13 par livre vendu. Souvent, le montant perçu par l’auteur par livre vendu tourne autour de 1€.
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- C’est d’une importante minime, mais personnellement j’y tiens : vérifiez que vous avez droit à un nombre suffisant d’exemplaires pour l’auteurice. Pour pouvoir en distribuer à vos proches. Personnellement, maintenant j’en exige toujours au moins 20 quand c’est un livre et au moins 10 quand c’est un jeu. C’est la moindre des choses, je trouve.
Parlons encore de sous, et évitons de nous faire arnaquer. Pour vous donner un ordre d’idée, voici comment ça s’est passé pour mon « best-seller » (un jeu narratif sur Sherlock Holmes) : j’ai touché 3000 € d’à-valoir, répartis en 1500 à la signature et 1500 à la remise du manuscrit définitif corrigé. En fait, ce n’est pas vraiment 3000, qui est une somme brute : déduction faite des retenues (vieillesse, etc.) c’est plutôt autour de 2600. Mes droits d’auteur en pourcentage s’élèvent à 3 % et le jeu coûte 12,90€, prix public, soit environ 12,20€ HT. Je touche donc 0,37€ par boîte vendue (c’est un jeu mais c’est considéré comme un produit livre, donc c’est le même principe). Rapide calcul : pour « rattraper » mon à-valoir, le jeu doit se vendre à 3000/0,37 = 8108 exemplaires. A partir du 8109e exemplaire, je dépasse mon à-valoir (qui était une avance sur mes droits), et je recommence à prétendre à une rétribution. Il se trouve que le jeu était tiré à 10 000 exemplaires, donc ça peut fonctionner. Il s’est même passé mieux : il a eu un succès inattendu. L’éditeur a demandé un retirage de 3000 exemplaires, puis encore un nouveau tirage l’année suivante. Sur le long court, il s’est vendu à environ 22 000 exemplaires. Tous les mois de juin, je reçois un relevé de comptes qui m’indique mes ventes et les paiements sont effectués à ce moment-là. Comme j’ai dépassé mon à-valoir d’environ 14 000 exemplaires, à 0,37€ par exemplaire vendu, j’ai du toucher à nouveau dans les 5000 €. Cette année, je devrais aussi toucher des cessions de droit car le jeu a été traduit en Chine (je n’ai aucune idée du montant que ça peut représenter, je verrai ça dans un mois).
Vous aurez noté que je parle de « best-seller » et en définitive d’une somme totale rémunérée de 10 000 € environ. Vous trouvez que c’est beaucoup ? Pas assez ? De mon côté, je vous livre mon sentiment : je trouve que c’est pas assez, mais je ne vois pas trop comment on pourrait faire autrement. Parce qu’en définitive, un livre c’est beaucoup d’acteurs (auteur, éditeur, diffuseur, distributeur, imprimeur, libraire…) qui se partagent un gâteau pas très gros, et les très grosses ventes (disons supérieures à 100 000 exemplaires) sont un grain de poussière dans la masse des 50 000 parutions annuelles. Idéalement, j’aimerais qu’on légifère sur un DA minimum (quelque chose comme 10 %) qui nous permette d’en vivre de manière moins précaire. Mais chaque pourcent que je vais glaner sera grapillé ailleurs, chez un des autres acteurs de la chaîne du livre. Et comme toute chaîne, si un des maillons casse, tout se casse.
Il y aurait ici un long débat à mener avec la sphère de l’autoédition, mais il me semble sans objet : bien qu’il existe quelques exemple d’autoédition très réussis (et tant mieux), globalement c’est un système qui ne permet pas une diffusion à une échelle suffisante pour se rémunérer correctement. C’est une question de volume. Par ailleurs, et là c’est plus subjectif, il me semble important qu’un travail de création soit « sanctionné » ou « légitimé » (et dans le cas d’un éditeur, remanié et corrigé) par d’autres professionnels que vous. Si vous êtes seul.e dans votre coin, vous n’en savez rien si c’est bien ce que vous faites.
Evidemment, avec l’expérience, et dans la mesure où désormais je n’ai plus besoin de démarcher les maisons d’édition, je réclame à présent un peu plus en pourcentage et en à-valoir, c’est de bonne guerre. Mais n’allez surtout pas vous imaginer que vous allez vivre rapidement et facilement de votre passion. De tels cas sont rares, et c’est une vie professionnelle certes passionnantes (par moments) mais aussi assez précaire et compliquée. Bien entendu, les très gros auteurs touchent de très grosses sommes. Mirobolantes. Mais ils sont une poignée en France. Peut-être une trentaine, tout au plus. Ils ne représentent même pas 1 % des auteurs qui essaient d’en vivre.
Je passe à la suite : les échanges avec l’éditeur ne reposent pas que sur le pécunier, évidemment. Il est aussi, il est surtout question de travail. Retenez bien ce que je vais vous dire et gravez-le dans votre esprit : aucun manuscrit n’arrive parfait sur l’ordinateur ou sur le bureau d’un éditeur. Cela n’arrive jamais, jamais, jamais. Il y a toujours du travail. Plus ou moins profond, plus ou moins technique. Mais attendez-vous à passer encore de longues heures sur votre manuscrit, qui sera annoté et corrigé à chaque page par un.e professionnel.le parfois intransigeant.e mais, si tout se passe bien, sûr.e de son fait. Si vous avez bien fait votre boulot de prospection et évité les charlatans, vous voilà contraint.e de lui faire confiance. En fait, c’est même tout le contraire de ce qui est peut-être votre impression première : c’est si l’éditeur ne vous fait pas travailler que votre méfiance doit s’éveiller. Votre manuscrit est comme votre bébé, vous avez engagé dans son écriture du temps, peut-être de l’argent, en tout cas des affects. Cela peut être très désagréable qu’une personne extérieure vienne le critiquer, le modifier et, dans votre esprit, sans doute le dénaturer. Mais vous n’avez pas le choix. Une œuvre de fiction est un travail collectif. Vous devez accepter de vous séparer d’un morceau de votre œuvre, de laisser un peu de contrôle vous échapper. Soyez attentif.ve aux discours des artistes de tous ordres, ils sont travaillés en permanence par cette impression de déchirement, de séparation, qui hante tout processus de publication.
13/ Et voilà, je suis publié.e : qu’est-ce qui se passe maintenant ?
Maintenant démarre la partie qui, me concernant, est la plus pénible, et dans laquelle je suis le plus nul : vous assurez le service après-vente (tout en gérant vos angoisses quant à la réception de votre ouvrage). Ce sont les éditeurs qui devraient le faire ? Oui, mais dans les faits, on va pas se leurrer, ils n’ont pas le temps. Donc, sans obligation, vous pouvez prendre en charge tout ou partie de ce travail. Cela peut prendre plusieurs formes :
- Vous faites de la promotion sur le web. Vous utilisez Facebook, Twitter, Instagram, votre site internet, votre blog, votre chaîne YouTube ou ce que vous voulez pour présenter votre travail, créer un groupe de fans (une « fanbase ») et diffuser des infos sur ce que vous faites. J’aime bien montrer des étapes « work in progress » de mes projets en cours, mais de mon côté c’est à peu près tout ce que je fais.
- Vous faites de la promotion autour de chez vous. Proposez à la librairie, à la bibliothèque du coin, d’organiser une rencontre autour d’un événement sympa. Soyez modeste et arrangeant.e : j’ai connu les deux métiers, et libraires comme bibliothécaires n’ont pas que ça à foutre d’assurer votre promo. Ils sont déjà très aimables d’organiser un truc.
- Vous faites des salons ou des événements littéraires. Si on vous invite notamment (idéalement, c’est l’éditeur qui vous organise ça). Ou alors essayez de vous proposer. Moi j’aime pas, mais chacun fait comme il veut.
- Vous faites de la veille. C’est-à-dire que vous faites une recherche régulière pour voir si vous avez des avis, des commentaires, voire parfois des critiques ou des reviews, ou même (rêvons !) des articles sur votre œuvre. Respirez un grand coup et gardez la tête froide : ce n’est pas toujours gentil ou amical. Il y a parfois des critiques virulentes (un avis sur un de mes jeux – mon best-seller – conseillait tout bonnement de « brûler ce jeu », ce sont les termes exacts). Celles qui font le plus mal, mais qui sont les plus utiles, sont sans doute celles qui sont construites, lucides, argumentées… et négatives. Rassurez-vous : parfois vous avez de bonnes, d’excellentes, de merveilleuses surprises. Vous découvrez que quelques personnes aiment sincèrement ce que vous faites, que vos livres sont présents en librairie et trouvent leur public. Vous n’êtes pas millionnaire, vous n’avez pas révolutionné la littérature, mais vous avez effectué un joli travail, vous n’êtes plus un.e amateur.ice.
Vous n’avez plus qu’à passer au projet suivant.